Partez pour l’île au trésor… la vraie!

Un trésor de pirate estimé à 100 millions de livres serait caché à Mahé. Une quête vieille de trois siècles, entre cryptogramme et fouilles interdites.

Un récit historique appuyé sur des faits bien documentés

L’existence d’un trésor abandonné par le pirate Olivier Levasseur, surnommé La Buse, continue d’alimenter une quête entamée au début du XXe siècle. Selon plusieurs sources, ce butin aurait été enterré dans les roches de l’île de Mahé, aux Seychelles, après la prise d’un galion portugais au large de l’île Bourbon (actuelle La Réunion) en 1721. Le contenu du navire pillé – or, pierres précieuses, objets liturgiques – a été évalué par certains historiens à plus de 100 millions de livres sterling actuelles.

Ce n’est pas tant la légende qui alimente l’intérêt autour de cette histoire, mais bien l’existence vérifiée d’un cryptogramme attribué à Levasseur. Ce document codé, lancé à la foule juste avant son exécution en 1730, contient 17 lignes de symboles cryptiques, dont la lecture correcte pourrait conduire au trésor. Ce n’est donc pas une fable orale transmise sans source : le parchemin existe, a été authentifié comme datant du XVIIIe siècle, et a été étudié par plusieurs spécialistes de la cryptographie.

L’ensemble des éléments historiques – registre d’embarquement, documents de la marine britannique, témoignages indirects – appuie l’hypothèse d’un trésor réparti entre Madagascar et les Seychelles. Mais seul Levasseur connaissait la localisation exacte de sa propre part.

Une transmission familiale devenue quête méthodique

Le Britannique Reginald Herbert Cruise-Wilkins, installé à Mahé, a consacré près de trente ans de sa vie à l’analyse du cryptogramme laissé par Levasseur. Il était convaincu que ce dernier avait conçu un système d’énigmes inspiré des 12 travaux d’Héraclès, utilisant des repères géographiques codés et des symboles issus de la franc-maçonnerie et de la mythologie grecque.

Cruise-Wilkins a mené ses recherches dans la région de Bel Ombre, sur la côte nord de l’île de Mahé. Il y a effectué de nombreuses campagnes de fouilles, à l’aide de matériel lourd : perceuses, pompes, dynamite, et capteurs de détection magnétique. Il a obtenu des autorisations officielles temporaires, avant de se heurter aux limites réglementaires de l’administration seychelloise, qui interdit toute excavation sans permis.

À sa mort en 1977, son fils John Cruise-Wilkins a repris l’ensemble des documents, plans, calculs et hypothèses. Âgé de 18 ans à l’époque, il avait été associé très tôt aux recherches de son père. Depuis, il continue d’explorer la même zone, utilisant des outils modernes comme les géoscanners allemands, les modélisations 3D du sous-sol et les sondes thermiques.

John affirme avoir retrouvé plusieurs indices matériels : morceaux d’armes anciennes, balles de mousquet, ossements humains, ainsi que des symboles gravés sur des blocs rocheux. Toutefois, aucun lingot ni objet d’une valeur marchande directement rattaché au trésor n’a été exhumé.

Une hypothèse crédible mais juridiquement encadrée

L’existence d’un trésor caché par Levasseur est plausible d’un point de vue historique. Le galion portugais Nossa Senhora do Cabo transportait des objets d’église, des cargaisons marchandes et des fonds impériaux à destination du Portugal. La capture du navire par une coalition de pirates n’est pas contestée, pas plus que le partage partiel du butin entre les membres d’équipage.

Selon certains récits, chaque pirate aurait reçu 42 pierres précieuses et 5 000 guinées d’or, les officiers recevant une part accrue. Levasseur aurait conservé une portion importante pour lui seul. Il se serait réfugié dans l’archipel des Seychelles avec un groupe restreint, isolé des autres membres de l’équipage. D’après les hypothèses de Cruise-Wilkins, les porteurs du trésor auraient été exécutés après l’enterrement, afin d’éviter toute fuite d’information.

Le problème majeur est d’ordre juridique : les terres de Bel Ombre appartiennent à l’État seychellois. Toute opération de fouille non autorisée y est passible d’amende. John Cruise-Wilkins a déjà été sanctionné à plusieurs reprises pour excavations illégales. Il continue néanmoins, considérant que même 50 % du trésor, si récupéré légalement, permettraient de financer la fin de sa quête.

L’État seychellois, de son côté, aurait droit à la moitié du butin selon la législation en vigueur. Ce partage théorique est toutefois conditionné à l’existence matérielle du trésor, et à la capacité à en prouver la provenance. Le manque de transparence sur les résultats des fouilles complique toute discussion avec les autorités locales.

Une recherche à mi-chemin entre enquête historique et obsession personnelle

Au fil du temps, cette quête est devenue moins une opération de récupération qu’une construction intellectuelle. John Cruise-Wilkins continue à croire à la validité du cryptogramme. Il a constitué une base de données structurée contenant plusieurs milliers d’entrées, allant des relevés topographiques aux archives navales de la période coloniale.

Il considère que le système de codage mis en place par Levasseur exige une compréhension fine de la symbolique maçonnique, des cycles astronomiques, et des traditions antiques. Il a notamment identifié des points d’alignement entre certains rochers et les positions solaires lors des équinoxes, ainsi que des correspondances numériques entre les symboles du cryptogramme et les mesures de terrain.

Cette méthode, bien que non validée scientifiquement, repose sur une logique interne cohérente, suffisamment construite pour justifier les efforts engagés. Elle mobilise des outils techniques habituellement utilisés en archéologie ou en ingénierie minière.

Mais l’isolement progressif du chercheur, l’absence de résultats tangibles, et la perception publique de folie ou d’obsession nourrissent une suspicion croissante. Pour certains habitants de Mahé, cette histoire reste un folklore destiné à entretenir un récit touristique. D’autres estiment que la persistance de John Cruise-Wilkins est respectable, car elle repose sur une documentation réelle et un engagement intergénérationnel.

Une légende tenace, un mythe contrôlé

L’histoire du trésor de La Buse perdure car elle combine trois éléments concrets : une archive codée, un butin initialement vérifié, et un lieu de recherche délimité. Ce triptyque suffit à maintenir une crédibilité minimale, sans pour autant permettre de basculer vers une certitude historique.

Le mystère demeure : ni les autorités locales, ni les historiens, ni les chasseurs de trésor n’ont pu confirmer l’existence ni la localisation du butin. Le cryptogramme reste non résolu malgré les tentatives répétées. Et la région de Bel Ombre n’a livré que des éléments secondaires, sans preuve directe de son rôle central dans l’affaire.

Mais tant que les indices résisteront à l’analyse, la chasse au trésor ne sera pas close. Pour John Cruise-Wilkins, la quête a dépassé le cadre matériel. Il ne cherche plus seulement un coffre d’or, mais à valider un raisonnement, à répondre à un engagement transmis de père en fils, et à trancher un mystère enraciné dans les pierres de Mahé.

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